L’Aide Publique au Développement, facteur de développement ou vecteur de la culture de dépendance?

L’Aide Publique au Développement, facteur de développement ou vecteur de la culture de dépendance?

De la célèbre citation de l’ancien Président de la Guinée Ahmed Sékou TOURÉ, « nous refusons l’aide qui ne nous aide pas à nous passer de l’aide », à la suspension d’une partie de l’aide de la France à destination du Mali poussant les autorités de la transition du Mali à qualifier cette aide de « déshumanisante », l’on peut noter que cette manne ne bénéficie pas d’une bonne appréciation dans les pays receveurs. A partir de ces lignes, nous allons tenter d’éclairer la lanterne des lecteurs sur les conclusions d’éminents économistes/chercheurs et d’institutions, dont les rapports ont force de loi, sur l’(in)efficacité de l’aide qui s’élevait à 185,9 milliards USD en 2021 selon le Comité d’Aide au Développement de l’OCDE.

Un aperçu général :

L’Aide Publique au Développement (APD) correspond, au sens large, à tout système international de transferts de ressources publiques entre des pays « donateurs » et « bénéficiaires ».

Pour autant, pour qu’un transfert de ressources soit considéré comme APD, il doit répondre à un certain nombre de critères : l’aide doit 1) provenir d’un État/d’une collectivité locale ou tout autre organisation agissant pour un organisme public ; 2) être destinée à un pays en développement ou un organisme international qui achemine l’aide vers ces pays ; 3) avoir comme intention le développement (cela exclut certaines aides militaires ou de maintien de paix) ; et 4) avoir des conditions financières favorables (élément donc important).

L’APD peut être bilatérale, c’est le cas où elle est acheminée d’un pays à un autre pays directement. Cette catégorie d’aide est la plus importante et représenterait 70% des APD.

Elle sera qualifiée de multilatérale lorsqu’elle est versée par les pays à un organisme international (Union Européenne, Banque Mondiale, etc.) et acheminée vers les pays en développement.

Les APD peuvent prendre plusieurs formes : aide humanitaire d’urgence (réponse à une catastrophe), aide au développement alimentaire (aide en réponde à un problème de famine), assistance technique (formation, mise à disposition d’experts), aide projet (financement d’un projet spécifique), aide programme (aide budgétaire).

Il est à noter que le Comité d’Aide au Développement (CAD) de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) est l’organe de référence en matière d’information sur l’APD. Des données sur l’APD sont aussi régulièrement fournies par la Banque Mondiale à travers le World Development Indicateurs (WDI).

APD, quelles motivations pour les pays donateurs ?

Dans la littérature sur les APD, on peut identifier plusieurs fondements implicites ou explicites qui motivent leur transfert : motivations éthiques (solidarité internationale), motivations géopolitiques (influences économiques, diplomatiques), politiques sociales de mondialisation (biens publics mondiaux, lutte contre le changement climatique, le terrorisme).

Les grandes phases de l’APD

De la reconstruction de l’Europe suite à la seconde mondiale en passant par la guerre froide et à la mondialisation, l’APD a connu plusieurs phases.

En effet, à chaque phase l’on peut constater le lien avec un bouleversement géopolitique et stratégique en termes de développement économique.

La phase du Plan Marshall ou celle du redressement des partenaires économiques

En juillet 1944 à Bretton Woods (Etats-Unis), sous l’impulsion de Lord John Maynard Keynes (éminent économiste britannique, père de la macroéconomie) et de Harry Dexter White (Économiste au Département du Trésor américain), ont été créés la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International (FMI). La première devait se charger du financement du développement tandis que le second avait pour mission de gérer les questions monétaires.

Constatant l’incapacité de la nouvelle organisation à financer la reconstruction des pays de l’Europe, les Etats-Unis vont mettre en place un important plan visant à les aider, Plan Marshall ou Programme de rétablissement européen », en anglais : European Recovery Program, ou ERP) en 1948. En quatre années, les américains vont octroyer l’équivalent de 16 milliards de Dollars (environ 170 milliards de Dollars en 2020).

Ce plan qui permettait non seulement de maintenir l’influence américaine sur ces pays devait aussi assurer les débouchés aux produits américains.

La phase du grand décollage des années 50-60

Avec la théorie Keynésienne (de Keynes) florissante qui prône un appui budgétaire massif pour relancer l’économie suivant certaines situations, l’aide est considérée comme un facteur contribuant à l’expansion économique et à la lutte contre le chômage.

Dans les pays en développement déjà indépendants, L’APD devait permettre d’accélérer la modernisation de leur économie en passant d’une économie traditionnelle (agricole) à une économie moderne (industrialisée).

La guerre froide obligeant, l’aide est utilisée par l’Ouest tout comme par l’Est pour élargir et/ou maintenir leur sphère d’influence.

Pour les américains, l’APD sera utilisée pour assurer un « endiguement du communiste ».

C’est ainsi que des années 60 jusqu’à la fin de la guerre froide, l’aide va connaitre une augmentation permanente pour atteindre un pic vers les années 90 (65 milliards environ de Dollars en 92).

La phase de l’APD visant à satisfaire les besoins de base dans les années 70

L’apparition de cycle relativement long de chômage accompagné de l’inflation aggravant la pauvreté entraine la remise en question des politiques keynésiennes. L’APD va viser à remédier au problème de chômage, des inégalités et de pauvreté.

La phase des ajustements structurels des années 80

L’effet des chocs pétrolier des années 70 va entrainer un alourdissement des charges de la dette des pays en développement. En effet, les américains ayant fortement appuyé l’Israël lors de la guerre du Yom Kippour au grand dam des pays arables, ceux-ci font mettre  l’embargo sur leur exportation de pétrole ce qui occasionne la grande crise pétrolière d’octobre 1973.

Le malheur ne venant pas seul, à ce fardeau, les pays en développement doivent faire face à une forte chute des prix des autres matières premières. Ces deux problèmes jettent les prémices de grandes crises sans précédent dans ces pays.

Pour y faire face, la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International (FMI) va mettre sur la table son fameux remède appelé ajustements structurels selon leur expression.

Même si ce programme visait les problèmes conjoncturels (problèmes du moment) en vue de stabiliser les économies des pays en développement, son objet principal consistait à agir sur les déséquilibres structurels (fonctionnement des marchés, système fiscal, attractivité des investissements, gouvernance).

A ces politiques devait y ajouter ce qui est sinistrement appelé « le Consensus de Washington ». Un ensemble de 10 mesures ultralibérales prescrites par les économistes de l’école de Chicago visant à exclure l’état du champ de l’économie. Joseph Stiglitz, éminent économiste et prix Nobel de l’économie en 2001, voit dans ces politiques le triomphe de la cupidité !

L’allocation des APD était « subordonnée » à la mise en place de ces politiques qui selon les institutions jumelles de Bretton Woods devaient assurer les équilibres interne et externe.

Ces politiques permettaient aussi aux pays en développement d’honorer le service de la dette qui avoisinait les 8 Milliards de Dollar alors qu’il n’était que de 2 Milliards de Dollar en 1975 selon Dambisa Moyo !

Au Mali, ces politiques d’ajustement ont été sérieusement mises en place avec l’arrivée d’Alpha Oumar Konaré en 1992 qui a fait des équilibres macroéconomiques un de ses défis à remonter !

Le jeune régime démocratique va s’administrer les prescriptions de Bretton Woods : libéralisation des prix et du commerce, réforme du marché du travail, du système bancaire, de la fiscalité, baisse des taxes à l’importation, privatisations à outrance.

Selon des données disponibles, de son accession à l’indépendance en 1960 à 1995, le Mali a bénéficié d’une aide extérieure estimée à environ 1 686 milliards de FCFA pour soutenir ses efforts de développement soit environ 48 milliards de FCFA par an.

Ses principaux partenaires au développement sont la France dont le montant d’aide est de 50 milliards de FCA  sous forme de subventions du Fonds d’aide au développement (FAC) et du concours de la caisse Française de Développement (CFD), la République Fédérale d’Allemagne et l’USAID contribuent à hauteur de 15 milliards de FCFA par an dans les domaines de l’éducation, développement rural, la santé, les réformes économiques etc…. 

Le Canada et les Pays Bas fournissent une enveloppe de 14 milliards pour le premier contre 12 milliards pour le second et interviennent dans les domaines des transports, énergies, et l’appui aux programmes d’ajustements macro- économiques.

A partir des années 90, la lutte contre la pauvreté

Avec la chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide, nous assistons aussi malheureusement à une chute de l’allocation des APD. Au-delà des raisons géopolitiques, cette baisse de l’aide peut s’expliquer par les pressions budgétaires subies par les pays européens engagés dans le processus de l’Union Européenne.

Par ailleurs, constatant les impacts sociaux néfastes de leurs politiques ultra libérales, les institutions de Bretton Woods vont y ajouter les mesures d’accompagnement social.

Jugeant le fardeau de la dette excessif entravant le développement de nombre de pays pauvres, les institutions internationales avec certains pays développés vont lancer en 1996 l’initiative PPTE (Pays pauvre très endetté). Le but de cette initiative est d’alléger le fardeau de la dette d’une quarantaine de pays dits pauvres.

Les objectifs du millénaire pour le développement (OMD) seront par la suite adoptés par 193 pays en 2000. C’est un ensemble de huit objectifs visant principalement les problèmes sociaux : réduction de la pauvreté, lutte contre la mortalité infantile, l’inégalité entre les genres, l’environnement.

Des nouvelles préoccupations géostratégiques et sécuritaires du 3ème millénaire a fait émerger le concept d’état voyou. Elles permettent notamment d’utiliser l’aide comme moyen de chercher et de fidéliser les alliés d’une part, et de moyen de pression auprès d’états qui entretiennent des relations avec les états dits « voyous ».

Cette motivation de l’aide permet de comprendre à elle seule pourquoi les alliances se font et se défont !

Les APD sont-elles efficaces ?

Les APD permettent elles d’atteindre les objectifs qui leur sont assignées ?

Question d’apparence facile mais difficile à répondre pour plusieurs raisons. D’abord, les motivations des APD ne sont pas toujours explicitement connues. Aussi, il y a la question de la liaison des APD qui reste toujours posée malgré la déclaration de Paris de 2005. En effet, la liaison d’une aide consiste à contraindre les pays receveurs à utiliser les fonds dans l’acquisition des biens et services dans un pays ou région bien déterminé.

Toutefois, certains auteurs ou leaders politiques ont tenté d’apporter des réponses à la question de l’efficacité de l’aide.

D’abord, il y a la publication d’une étude de la Banque Mondiale en 1998 portant le titre « Assessing Aid : What work, what doen’t and why » (Evaluation de l’aide : ce qui marchent, ce qui ne marchent pas et pourquoi). Cet important travail, à la limite révolutionnaire, arrive à la conclusion que l’efficacité de l’aide dépend de la qualité des politiques économiques mises en œuvre par les pays receveurs. Autrement dit, les APD seraient efficaces dans les pays où les bonnes politiques économiques sont mises en œuvre. A contrario, dans les pays à politiques économiques médiocres, les APD ne seraient pas efficaces.

Cette conclusion ouvre grandement la porte à la politique de conditionnalité et de sélectivité de l’aide. Les pays en développement ne recevront de l’aide qu’en fonction de certaines caractéristiques bien définies.

Par la suite, un article de Craig Bunrside et de David Dollar intitulé Aid, Policies and Growth de 2000 viendra soutenir les conclusions du travail de la Banque Mondiale.

Des agences de développement, MCA Banque Mondiale et d’autres bailleurs vont ainsi adopter des critères d’allocation de l’aide basés sur la qualité des institutions (gouvernance surtout) et les politiques économiques.

Cependant d’autres chercheurs ne sont pas parvenus à démontrer une efficacité de l’aide (Dambisa Moyo, Alésina et Weder ou Paul Collier).

Dambisa Moyo est plus catégorique et trouve que l’aide est « la maladie dont elle prétend être le remède ». En d’autres termes, les APD seraient la source du malheur des pays en développement.

D’origine zambienne, Docteur en économie de St Antony’s College (Oxford) et ancienne consultante de la BM, elle est devenue une célébrité grâce à son bestseller « Aide fatale ».

Elle préconise en remplacement à la forme actuelle de l’aide le recours aux marchés financiers internationaux, à la politique chinoise d’investissement direct, au développement des marchés des produits agricoles et à la diffusion des institutions de microfinance.

Alpha Oumar Konaré dans son célèbre et offensif discours à l’UNESCO en 2004 déclarait déjà que l’annulation de la dette ni le doublement de l’APD ni même une combinaison des deux ne résoudra le problème de développement des pays africains. Il a préconisé lui aussi une autre forme d’aide résultant des choix et des programmes établis par les pays bénéficiaires eux-mêmes.

Paul Kagamé aussi déclarait (cité par Dambisa Moyo dans son livre précité) « quoiqu’on ait dépensé apparemment plus de 300 Milliards de dollars sur notre continent depuis 1970, le bilan sur le plan économique et humain est à peu près nul ».

Au-delà de ces conclusions politico-scientifiques divergentes sur l’efficacité de l’aide, il semble évident que les pays en développement malgré l’afflux important d’aide qu’ils reçoivent peinent à amorcer une dynamique auto-entretenue de croissance.

En tout état de cause, l’aide au développement a mis les pays et les populations dans un état d’assisté. Pour s’en convaincre, il suffit de se rendre pour un bref séjour dans n’importe quel village, pour que les populations vous demandent de quels projets et programmes de développement êtes-vous ? Cette perception de l’aide (que d’aucuns appellent l’équivoque de l’aide) ainsi que l’assistance par la mise à disposition d’experts du développement pour l’élaboration des politiques de développement ne contribuent pas à l’émergence d’une dynamique endogène de développement. Aussi, l’efficacité de l’aide se mesure à la capacité du bénéficiaire de se passer de l’aide, des apports extérieurs gratuits ou fournis à des conditions de faveurs.

En outre, la concordance des priorités entre l’offre de l’aide et le besoin du pays bénéficiaire  constitue à n’en pas douter une des grosses faiblesses de l’aide.

Pour le cas spécifique du Mali et si on considère l’APD dans sa globalité, il n’est pas aisé de mettre en évidence une quelconque efficacité de cette manne. Si l’aide projet directement affecté au projet est positivement jugé par les bénéficiaires, il est en revanche difficile de dégager les impacts positifs de l’aide sous d’autres formes.

Quoique corrélation ne soit pas causalité, aucune tendance nette n’est enregistrée par le taux de croissance réel du PIB pendant l’APD est massivement injectée d’année en année, comme l’atteste le graphique ci-dessous tiré des informations de la Banque Mondiale.

Le salut de nos économies ne proviendra sûrement pas de l’aide qui est allouée pour plusieurs raisons comme nous venons de voir. Nos états doivent mener des politiques rigoureuses de mobilisation des ressources au niveau interne et de garantir une bonne utilisation de ces ressources. Une attention particulière doit être accordée aux transferts financiers des migrants. En effet, sa croissance exponentielle ainsi que sa relative stabilité (tributaire d’aucune conditionnalité) font de cette manne un puissant levier pouvant combler le besoin de financement des pays en développement. Les stratégies visant à une optimisation de l’apport des transferts financiers des migrants doivent être identifiées et rapidement déployées par les pays, comme le Mali, qui reçoivent annuellement des montants colossaux de cette ressource. Selon certaine source, les transferts de fonds des émigrés maliens se sont élevés à un1 Milliard USD en 2019. Il faut noter que les chiffres officiels tendent à sous-estimer le montant réel de transfert des migrants car ils ne captent pas les montants transférés via les canaux non officiels.

Si la quête du développement tant prêché par les pays développés est sincère, ils doivent reconnaitre que l’aide la plus précieuse à apporter aux pays en développement consistera à lever les entraves liées au commerce international. En effet, selon la Banque Mondiale, les distorsions liées aux subventions illégales des pays développées accordées à leurs producteurs de matières premières occasionnent plus désagrément que l’octroi d’aide ne peut compenser.

Source: L’Investigateur

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