Modibo Mao Makalou à propos de l’intégration économique et monétaire des pays de l’AES: «…les pays de l’AES doivent réduire les obstacles aux échanges commerciaux et à l’investissement et relier leurs réseaux d’infrastructures »

Modibo Mao Makalou à propos de l’intégration économique et monétaire des pays de l’AES: «…les pays de l’AES doivent réduire les obstacles aux échanges commerciaux et à l’investissement et relier leurs réseaux d’infrastructures »

Nous avons interrogé l’économiste, Modibo Mao Makalou, non moins gestionnaire financier et Président Directeur du cabinet International business services (IBS Sarl), sur les défis et les perspectives de l’intégration économique et monétaire pour les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES). Dans cette interview, M. Makalou pousse la reflexion sur comment les pays de l’AES peuvent intégrer leurs économies.

Présentez-vous à nos lecteurs s’il vous plait

Je me nomme Modibo Mao Makalou, économiste, gestionnaire financier et Président Directeur du cabinet International business services (IBS Sarl).

Qu’est-ce qu’il faut comprendre par la création d’une banque d’investissements, d’un fonds de stabilisation par les pays signataires de la Charte de l’Alliance des États du Sahel (AES) ? En quoi ces initiatives peuvent contribuer à la stabilité économique dans l’espace en question ?

Les banques publiques d’investissement ou de développement investissent dans divers secteurs économiques et dans les infrastructures socio-économiques qui sont cruciales pour la croissance économique forte, durable et inclusive.

La mise en place des banques publiques d’investissement vise en premier à orienter les investissements vers des infrastructures ou des secteurs économiques considérés par l’État comme prioritaires. Ensuite en deuxième lieu, elle vise aussi à pallier les imperfections du marché en intervenant dans des domaines jugés peu ou pas rentables par les investisseurs privés, bien qu’ils soient essentiels pour la cohésion sociale et la bonne marche de l’économie. On pourrait par exemple citer les services sociaux de base comme l’éducation ou la santé, mais aussi l’habitat social, l’assainissement et l’agriculture familiale, qui par ailleurs, constitue une source de revenus essentielle pour la majorité de la population des 3 pays membres de l’AES.

Les fonds de stabilisation ou de réserve, ont par contre pour ambition non seulement de limiter la dépendance d’une économie au secteur des matières premières, mais aussi de protéger les pays qui l’instaure des effets néfastes, notamment en termes de dépenses publiques et de croissance économique, de l’instabilité des revenus liés à l’exportation des matières premières. La volatilité du prix des matières premières crée une instabilité des recettes fiscales ce qui impacte négativement la mise en œuvre de la politique budgétaire.

Les fonds de stabilisation sont habituellement destinés à remédier aux problèmes liés à la volatilité et à l`imprévisibilité des recettes des matières premières (or, coton, uranium, pétrole et autres produits de base…), et à la nécessité d`épargner une partie des recettes de ces produits de base pour les générations futures (fonds d` « épargne »), ou aux deux.

Comment la mise en œuvre de ces projets pourrait-elle contribuer à résoudre les défis économiques spécifiques auxquels sont confrontés les pays membres de l’Alliance des États du Sahel, tout en tenant compte des engagements régionaux (UEMOA, CEDEAO) ?

Pour intégrer leurs économies, les pays de l’AES devraient réduire les obstacles aux échanges commerciaux et à l’investissement et relier leurs réseaux d’infrastructure. Ils devraient axer leurs efforts sur la libéralisation des échanges de biens et de services et celle des marchés financiers et des marchés du travail. La levée progressive des obstacles aux échanges intra régionaux, la construction d’infrastructures régionales l’amélioration du climat des affaires, et l’utilisation d’une monnaie commune ou unique qui réduirait les coûts de transaction stimuleraient les échanges commerciaux au sein de l’AES mais aussi entre l’AES et les autres organisations d’intégration économique sous régionales ce qui permettrait d’intégrer davantage les chaînes de valeur mondiale et renforcer l’activité économique. L’intégration commerciale au sein de l’AES pourrait constituer une étape vers la mise en œuvre intégrale de la Zone de Libre Echange Continentale Africaine (ZLECAF) qui regroupe environ 1,475 milliard de consommateurs africains

De plus, une intégration plus poussée au sein de l’AES pourrait amortir l’impact éventuel de la montée des tensions commerciales au niveau mondial. Si le protectionnisme devait s’intensifier sur les marchés traditionnels, les pays de l’AES pourraient partiellement en compenser les effets négatifs sur leurs exportations et leur croissance en augmentant leurs échanges intra régionaux, ce qui leur permettrait de préserver les bienfaits, pour leurs économies, de la reprise économique mondiale.

Pouvez-vous expliquer comment la création d’une monnaie commune contribuerait à l’intégration économique et monétaire des pays signataires de la Charte de l’Alliance des États du Sahel ?

La monnaie joue un rôle très important pour ce qui concerne les objectifs de la politique économique non seulement pour préserver le pouvoir d’achat des citoyens mais aussi pour faciliter les transactions économiques avec les autres pays. L’intégration économique et monétaire permet de stimuler les échanges commerciaux, les investissements et la concurrence dans l’espace communautaire ce qui devrait aboutir à une baisse des prix des biens et services à des économies d’échelle pour la production des biens et services, et l’utilisation d’une monnaie commune ou unique, de même qu’une harmonisation des politiques budgétaires et monétaires des pays membres de l’AES.

L’intégration économique offre de nombreux avantages tels que l’accroissement des échanges commerciaux, des avantages comparatifs, de l’efficacité économique, des possibilités d’emploi et de l’expansion des marchés de biens et services.

Cependant, elle présente également des inconvénients, notamment le détournement des échanges, la perte d’autonomie en matière de politique économique, l’inégalité et les disparités régionales, la perte d’industries et d’emplois, et la dépendance vis-à-vis des pays membres de l’AES.

La monnaie, est un instrument éminemment politique d’abord mais sa gestion est purement technique. Les Etats élaborent des politiques économiques et exercent quatre fonctions régaliennes, parmi lesquelles celle de battre monnaie c’est-à-dire imprimer de billets de banques, fabriquer des pièces de monnaie et les mettre à la disposition des entreprises, des ménages, et de l’ensemble des citoyens et des banques et établissements financiers. ‘‘Battre monnaie’’, c’est l’action de créer physiquement de la monnaie. La monnaie remplit trois fonctions essentielles qui sont aussi différentes. C’est un moyen d’échange, à savoir un moyen de paiement ayant une valeur fiable aux yeux de tous. La monnaie est également une unité de compte permettant d’établir le prix des biens et des services. Et enfin elle constitue aussi une réserve de valeur.

La création d’une monnaie est une décision politique qui doit répondre à des impératifs techniques de fixation du taux de change (quantité de monnaie nationale qu’on peut échanger contre une unité de monnaie étrangère) pour faciliter les échanges avec les principaux partenaires commerciaux tout en assurant la stabilité des prix donc du pouvoir d’achat des citoyens. La création d’une monnaie est du ressort exclusif d’un institut d’émission qui servira de banque centrale pour l’AES. Celle-ci agira principalement comme une banque pour les banques commerciales en contrôlant les flux de monnaie et de crédits dans l’économie, de manière à assurer son premier objectif, en l’occurrence, la stabilité des prix.

Les banques commerciales pourront alors solliciter des prêts auprès de la Banque Centrale (des réserves de banque centrale), qui leur servira en grande partie à couvrir des besoins de liquidités à très court terme. Le principal instrument dont dispose la Banque Centrale pour réguler le crédit dans l’économie et pour contrôler la quantité de monnaie en circulation et, par conséquent, la demande de réserves de banque centrale émanant des banques commerciales, consiste à fixer les taux d’intérêt (le coût du crédit).

La création d’une monnaie doit se faire en fonction de la quantité et de la qualité de la production de biens et services dans notre économie et de nos échanges de biens et services avec nos principaux partenaires économiques et commerciaux. Il est surtout crucial d’avoir une banque centrale autonome qui aura les fonctions suivantes : assurer la stabilité des prix ; gérer les réserves officielles de change (or, devises et droits de tirage spéciaux) ; veiller à la stabilité du système bancaire et financier ; promouvoir le bon fonctionnement et assurer la supervision du système financier et bancaire ; et assurer la sécurité des systèmes de paiement.

Rappelons que la solidité d’une monnaie est établie selon les normes internationales lorsque les avoirs extérieurs nets (liquidités disponibles en or et devises) de la Banque Centrale peuvent couvrir 3 mois d’importations.

En examinant les comptes macroéconomiques du Burkina Faso, du Mali et du Niger en général et la balance des paiements (qui enregistre l’ensemble des transactions économiques avec l’extérieur) en particulier, il ressort clairement que l’AES est assez dépendante du commerce international qui constitue plus de la moitié de leur produit intérieur brut (PIB) c’est à dire de leur production nationale de biens et de services. La balance des paiements de chaque pays membre qui enregistre les flux économiques avec les autres pays est déficitaire chaque année depuis l’indépendance en 1960. De même, la balance commerciale est constamment déficitaire, les importations (achats provenant de l’extérieur) sont plus importantes que les exportations (ventes à l’extérieur).  Aussi, le taux de couverture qui correspond au rapport entre ses exportations et ses importations des 3 pays membres de l’AES est relativement faible, ce qui indique une vulnérabilité de leurs économies vis-à-vis de l’extérieur.

A. Coulibaly

Source: L’Investigateur

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